dimanche 5 février 2012

THE DOG OF WINTER

Une fois de l'autre côté, le garçon mit le cap vers le nord, et ils dépassèrent le promontoire que Fletcher avait escaladé la veille, ce qui lui permit de découvrir la baie et la pointe au loin.

La mer était plus profonde à cet endroit et le Zodiac chevauchait sans peine la houle ; une eau verte et lisse filait sous l'avant du canot, tandis qu'au dessus de leurs têtes le ciel continuait à s'éclaircir grâce au soleil qui se répendant à la surface de l'eau.

Des morceaux de bois dansaient à la lumière, accompagnés de lits de varech, dont certains transportaient divers crustacés ; taches roses ou orange éclatantes arrachées à leur point d'ancrage par la force du courant, et à deux reprises au moins des otaries sortirent leur têtes noires et lisses hors de l'eau pour les regarder passer.

Fletcher repensa alors à ce qu'il avait vu sur le ponton : les cicatrices qui enveloppaient le corps de Hamon comme les coutures d'une balle de base-ball. Il n'avait pas entendu dire que Hamon s'était fait mordre, mais de toute évidence c'était le cas. Et cet endroit semblait idéal pour ça, au coeur même de ce que les surfeurs appelaient le Triangle Rouge. Les poissons venaient à l'embouchure de des rivières pour pondre. Les otaries venaient manger les poissons. Les grands blancs venaient manger les otaries, et comme ils étaient myopes, ils avaient l'habitude de croquer un surfeur de temps en temps, même si, généralement, ils les recrachaient quand ils s'apercevaient de leur erreur ; c'est pourquoi il en restait quelques-uns comme Drew Hamon pour raconter cette histoire.

De telles pensées n'ameneraient rien de bon, évidemment, c'est pourquoi Fletcher, choisit de préparer son matériel au mieux pour les chasser de son esprit. Il tripota son posemètre et jaugea l'angle du soleil. Il y avait quelques bosses à l'horizon, mais pas encore de série visible. Il entendit le garçon dire quelque chose dans son dos, et il se retourna pour le voir désigner le rivage. Il suivit du regard le doigt du garçon. Il découvrit alors trois silhouettes sombres sur des planches qui se dirigaient vers eux en partant de la pointe, et alors qu'il suivait leur ligne d'attaque il vit la première série qui commençait à se former sur les reefs.

Kem Nunn – THE DOG OF WINTER Le sabot du diable (extrait)

DAWN PATROL

Un bref moment, nous avons eu une civilisation qui s'accrochait à une mince bande de terre entre l'océan et le désert.

Notre problème était l'eau, trop d'un côté, pas assez de l'autre, mais cela ne nous a pas arrêté. Nous avons bâti des maisons, des autoroutes, des hôtels, des galeries marchandes, des ensembles d'immeubles, des parcs de stationnement, des parkings, des écoles et des stades.

Nous avons proclamé la liberté de l'individu, acheté et conduit des millions de véhicules pour le prouver, construit de nouvelles routes pour y mener nos voitures de manière à pouvoir parcourir le partout qui était nulle part. Nous avons arrosé nos pelouses, lavé nos voitures, englouti des bouteilles et des bouteilles d'eau sous plastique pour nous tenir hydratés sur une terre déhydratée, nous avons bâti des aquaparcs.

Nous avons construit des temples à nos fantasmes – studios de cinéma, parcs récréatifs, cathédrales de cristal, méga-églises - pour nous y rassembler en masse.

Nous sommes allés sur la plage, nous avons chevauché les vagues et versé nos ordures dans l'eau dont nous disions que nous l'aimions tant.

Nous nous sommes réinventés au quotidien, nous avons refabriqué notre culture, nous nous sommes vérouillés à double tour dans des communautés forteresses, nous avons mangé de la nourriture saine, arrêté de fumer, lifté nos visages tout en évitant le soleil, soumis nos peaux au peeling, fait aspirer notre graisse aussi bien que nos bébés non désirés, nous avons défié l'avancée de l'âge et la mort.

Nous avons fait des déesses de la richesse et de la santé

Une religion du nacissisme.

Au bout du compte, nous n'avons adoré que nous-mêmes.

Au bout du compte, ce n'était pas suffisant.

Don Winslow – DAWN PATROL la patrouille de l'aube (extrait)

mercredi 17 novembre 2010

LES INVITÉS


Sybil Costières était la troublante réplique de son mari, aussi féminine qu'il ne l'était pas. Elle traînait dans son sillage des effluves qui énervent les sens. Tout était à sa place dans des proportions harmonieuses. Les seins, les fesses, les jambes. Elle en montrait assez sans que cela passât pour de l'exhibition ; ses atouts étaient entretenus grâce à une discipline d'airain.

À l'examen, elle avait un plus et un trop. Le premier était imperceptible aux femmes, lesquelles n'imaginaient pas que ça pût jouer, moins encore exciter les regards masculins ; ce n'étaient pas tant ses seins – elles avaient toutes des seins et certains venaient du même fournisseur, ainsi que leurs hardes griffées – mais les bouts de seins, manifestement durs, qui se détachaient sur de larges aréoles brunâtres, tétons érectiles qui pointaient à travers une étoffe moulante à dessein, nouant ainsi des formes et des reflets à la limite de l'indécence. Voilà pour le plus.

Quant au trop, il se voyait comme le nez au milieu de la figure : c'était sa bouche, ou plutôt ses lèvres, artificiellement ourlées et gonflées à l'aide de produits qui ne cessaient de se perfectionner. Depuis que Sybil Costières avait posé son sac et pris place sur le grand canapé écru, Stanislas Sévillano la dévisageait en tâchant de ne pas manifester son accablement. Alors, vous aussi ? Semblait dire son regard désolé. Elle qui avait de si jolies lèvres, si discrètement soulignées par un menton en parfaite concordance avec le dessin de son visage, elle aussi y était passée. À croire que c'eût été déchoir de manquer la visite au chirurgien, étape obligée dans une société prête à conférer partfois au plus charlatan des plasticiens le statut noble d'artiste pour avoir su métamorphoser une femme en momie.

Il lui aurait pardonné si elle avait été de la pathétique légion des disgraciées, méritant réparation ; or il l'avait suffisamment croisée dans Paris, et souvent même de près, pour se souvenir qu'elle n'en était pas. Désormais Sybil avait la même bouche standardisée que les autres, les petites secrétaires qui y consacraient l'intégralité de leur treizième mois comme les peoples des magazines. En la contemplant, on ne voyait plus que ça. Ce paquet de lèvres déjà vu et revu, modèle déposé et breveté, une horreur. Disparus la profondeur du regard, la petite fossette au creux des joues, l'éclat des dents, la courbe mutine du nez. Ce monstre de lèvres gâchait tout ce qui l'entourait. Impossible de s'en détacher. Il aimantait le regard avant de provoquer le dégoût. Mais qu'est ce qui les poussait toutes à en faire autant ? L' accablant esprit moutonnier de la mode. Mais on ne change pas de lèvres comme de chaussures. On les garde longtemps. Du pur narcissisme alors, ces femmes n'étant gouvernées que par elles mêmes.

De quelque côté qu'il envisageait la question, Stanislas Sevillano en revenait toujours à cette évidence : ce secret souci de sensualité s'associait pour l'essentiel à la succion. Conciemment ou non, ces femmes voulaient se faire passer pour des pompeuses hors pair, puisque l'imagerie la plus répandue de la littérature érotique et du cinéma pornographique, relayée par la tendance amplifiée par la publicité, liait le fantasme de la salope au charnu de ses lèvres. Voilà ce qu'il aurait voulu direà Sybil Costières, mais il ne le lui dirait pas, ni à elle ni aux autres, ça ne se fait pas, et puis à quoi bon lutter contre le courant ?

N'empêche, étant entendu qu'il s'agissait d'exiter les hommes, elle eût tiré quelque profit à leur demander conseil avant puisqu'ils étaient les premiers concernés. Lui n'aurait pas manqué d'arguments pour la décourager – et l'on imagine sans peine le plus convaincant. Non la laideur de la chose, car elle lui aurait certainement objecté que l'esthétique relève de la subjectivité, mais une théorie en neuf points qui l'aurait laissé coite, étant donné que : 1. les gays sont à l'avant garde des tendances, 2. ils lancent les modes les plus durables, 3. nul n'est mieux placé qu'un homosexuel pour l'expertise des queues, 4. les hommes en eux se confient bien davantage que les couples hétéros leurs impressions sur la technique sexuelle, 5. ils maîtrisent le grand art de fello (latin, sucer) et même de fellito (sucer, mais souvant) grâce à une expérience accumulée depuis l'Antiquité, cette pratique chronique et compulsive de la fellation suffisent à démontrer la supériorité du fellator sur la fellatrix, 6. or on ne sache pas que cet affreux air du temps qui consiste à ses rendre toutes propriétaires du même ornement buccal ait fait des ravages chez les gays, 7. on peut même dire qu'ils le dédaignent superbement et qu'ils comptent davantage sur leurs dons naturels pour faire monter la sauce, 8. d'où il appert qu'elles font fausse route si elles s'imaginent ainsi gagner en efficacité, 9. sauf à croire que l'important pour une femme n'est pas d'être une salope mais d'en avoir l'air, et là, Stanislas Sévillano aurait rendu les armes.

Quand Sybil Costière lui demanda du feu, il en fut accablé. Car elle était ainsi faite et refaite que même ses cordres vocales sonnaient comme un piano accordé de la veille. C'était une néo-femme. Sa réaction ne pouvait lui échapper tant elle était manifeste, mais il n'oserait pas lui dire le fond de sa pensée, pas encore :
« Qu'y a-t-il ? »
- Quand je vois quelqu'un qui fume, ça me fait penser au XXe siècle. »

Pierre Assouline - LES INVITÉS (extrait)

jeudi 14 octobre 2010

LE FOND


Le voyage ne dura qu'une vingtaine de minutes. Puis le camion s'est arrêté et nous avons vu apparaître une grande porte surmontée d'une inscription vivement éclairée (aujourd'hui encore son souvenir me poursuit en rêve) : ARBEIT MACHT FREI, le travail rend libre.

Nous sommes descendus, on nous a fait entrer dans une vaste pièce nue, à peine chauffée ; que nous avons soif ! Le léger bruissement de l'eau dans les radiateurs nous rend fous : nous n'avons rien bu depuis quatre jours. Il y a bien un robinet, mais un écriteau accroché au dessus dit qu'il est interdit de boire parce que l'eau est polluée. C'est de la blague, aucun doute possible, on veut se payer notre tête avec cet écriteau : « ils » savent que nous mourrons de soif, et ils nous mettent dans un chambre avec un robinet, et wassertrinken verboten. Je bois résolument et invite les autres à en faire autant ; mais il me faut recracher, l'eau est tiède, doucâtre et nauséabonde.

C'est cela, l'enfer. Aujourd'hui, dans le monde actuel, ce doit être cela : une grande salle vide, et nous qui n'en pouvons plus d'être debout, et il y a un robinet qui goutte avec de l'eau qu'on ne peut pas boire, et nous qui attendons quelque chose qui ne peut être que terrible, et il ne se passe rien, il continue à ne rien se passer. Comment penser ? On ne peut plus penser, c'est comme si on était déjà mort. Quelques-uns s'assoient par terre. Le temps passe goutte à goutte.

Nous ne sommes pas morts : la porte s'ouvre, et un SS entre, le cigarette à la bouche. Il nous examine sans se presser : « Wer kann Deutsch ? » demande-il ; l'un de nous se désigne ; quelqu'un que je n'ai jamais vu et qui s'appelle Flesch ; ce sera lui notre interprète. Le SS fait un long discours d'une voix calme, et l'interprète traduit : il faut se mettre en rang par cinq, à deux mètres l'un de l'autre, puis se déshabiller en faisant un paquet de ses vêtements, mais d'un certaine façon : ce qui est en laine d'un côté, le reste de l'autre ; et enfin enlever ses chaussures, mais en faisant bien attention de ne pas se les faire voler.

Voler, par qui ? Pourquoi devrait-on nous voler nos chaussures ? Et nos papiers, nos montres, le peu que nous avons en poche ? Nous nous tournons tous vers l'interprète. Et l'interprète interrogeat l'Allemand, et l'Allemand, qui fumait toujours, le traversa du regard comme s'il était transparent, comme si personne n'avait parlé.

Je n'avais jamais vu de veil homme nu. M. Bergmann, qui portait un bandage herniaire, demanda à l'interprète s'il devait l'enlever, et l'interprète hésita. Mais l'Allemand comprit et parla d'un ton grave à l'interprète en indiquant quelqu'un ; alors nous avons vu l'interprète avaler sa salive, puis il a dit : « l'adjudant vous demande d'ôter votre bandage, on vous donnera celui de M. Coen. » Ces mots là avaient été prononcés d'un ton amer, c'était le genre d'humour qui plaisait à l'Allemand.

Arrive alors un autre Allemand, qui nous dit de mettre nos chaussures dans un coin ; et nous obtempérons car désormais c'est fini, nous nous sentons hors du monde : il ne nous reste plus qu'à obéir. Arrive un type avec un balai, qui pousse toutes nos chaussures dehors en tas; Il est fou, il les mélange toutes, quatre vingt seize paires : elles vont être dépareillées. Un vent glacial entre par la porte ouverte : nous sommes nus et nous nous couvrons le ventre et nos bras. Un coup de vent referme la porte : l'Allemand la rouvre et reste là à regarder d'un air pénétré les contorsions que nous faisons pour nous protéger du froid les uns derrière les autres. Puis il s'en va en refermant derrière lui.

Nous voici maintenant au deuxième acte. Quatre hommes armés de rasoirs, de blaireaux et de tondeuses font irruption dans la pièce ; ils ont des pantalons et des vestes rayées, et un numéro cousu sur la poitrine ; ils sont peut être de l'espèce de ceux de ce soir (de ce soir ou d'hier soir ?) ; mais ceux ci sont robustes et respirent la santé. Nous les assaillons de questions,, mais eux nous empoignent et en un tournemain nous voilà rasés et tondus. Quelle drôle de tête on a sans cheveux ! Les quatre individus parlent une langue qui ne semble pas de ce monde ; en tous cas ce n'est pas de l'allemand, sinon je saisirais quelques mots.

Finalement un autre porte s'ouvre : nous nous retrouvons tous debout, nus et tondus, les pieds dans l'eau : c'est une salle de douche. On nous a laissés seuls, et peu à peu notre stupeur se dissipe et les langues se délient, tout le monde pose des questions et personne ne répond. Si nous sommes nus dans une salle de douche, c'est qu'ils ne vont pas encore nous tuer. Et alors pourquoi nous faire rester debout, sans boire, sans personne pour nous expliquer, sans chaussures, sans vêtements, nus les pieds dans l'eau avec le froid qu'il fait et après un voyage de cinq jours, et sans pouvoir nous
asseoir ?

Et nos femmes ?

L'ingénieur Levi me demande si d'après moi les femmes sont la même situation que nous en ce moment, et où elles sont, et si nous les reverrons. Bien sûr que nous les reverrons : je le réconforte parce qu'il est marié et père d'une petite fille ; mais mon idée est faite : je suis convaincu que tout cela n'est qu'une vaste mise en scène pour nous tourner en ridicule et nous humilier, après quoi, c'est clair, ils nous tueront ; ceux qui s'imaginent qu'ils vont vivre sont fous à lier, ils sont tombés dans le panneau, mais moi non, moi j'ai bien compris que la fin est pour bientôt, ici même peut-être, dans cette pièce, dès qu'ils se seront lassés de nous voir nus, nous dandiner d'un pied sur l'autre, tout en essayant de temps en temps de nous asseoir sur le carrelage où dix centimètres d'eau froide nous en dissuade. Invariablement.

Nous arpentons la pièce de long en large, dans un grand brouhaha de conversations entrecroisées. La porte s'ouvre, un Allemand entre, c'est l'adjudant de tout à l'heure : il prononce quelques mots brefs que l'interprète traduit : « l'adjudant dit qu'il faut se taire, qu'on est pas dans une école rabbinique. » Les mots de l'Allemand, les mots odieux lui tordent la bouche quand il les prononce, comme s'il recrachait de la nourriture dégoûtante. Nous le pressons de demander ce que nous attendons, pour combien de temps nous en avons encore, où sont nos femmes, tout : mais lui ne veut rien demander. Ce Flesch, si réticent à traduire en italien les phrases glaciales de l'Allemand, et qui refuse de transmettre nos questions en allemand, car il sait que c'est inutile, est un juif allemand d'une cinquantaine d'années, avec sur le visage une grosse cicatrice provenant d'une blessure reçue en combattant contre les italiens sur le Piave. C'est une homme renfermé et taciturne qui inspire un respect instinctif car je sens qu'il a commencé à souffrir avant nous.

L'Allemand s'en va, et nous nous taisons tout en ayant un peu plus honte de nous taire. Il faisait encore nuit, nous nous demandions si l'aube arriverait jamais. De nouveau la porte s'ouvre, cette fois sur un uniforme rayé. L'homme est différent des autres, plus âgé et beaucoup moins corpulent, avec des lunettes et une expression plus amène. Il nous parle, et en italien.

Désormais, nous sommes à bout de surprises. Il nous semble assister à quelque drame extravagant, un de ces drames où défile sur scène les sorcières, l'esprit saint et le démon. L'homme parle assez mal l'italien avec un fort accent étranger. Il nous fait un long discours, puis s'efforce très aimablement de répondre à toutes nos questions.

Nous sommes à Monowitz, près d'Auschwitz, en haute Silésie ; une région habitée à la fois par les Allemands et les Polonais. Ce camp est un camp de travail, en allemand Arbeitslager ; tous les prisonniers (qui sont environ dix mille) travaillent dans une usine de caoutchouc qui s'appelle la Buna, et qui a donné son nom au camp.

On va nous donner d'autres chaussures et d'autres habits : non, pas les nôtres ; d'autres chaussures, d'autres habits comme les siens. Pour le moment nous sommes nus parce que nous attendons la douche et la désinfection, qui auront lieu tout de suite après le réveil, parce qu'on entre pas dans le camp si on ne passe pas la désinfection.

Bien sûr, il faudra travailler; Ici tout le monde travaille. Mais il y a travail et travail : lui par exemple, il est médecin de profession, il est hongrois mais il a fait ses études de médecine en Italie ; et maintenant c'est le dentiste du Lager. Ça fait quatre ans qu'il est au Lager (pas à la Buna, la Buna n'existe que depuis un an et demi), et pourtant, comme on peut voir, il se porte bien, il n'est pas trop maigre. Pourquoi est il au Lager ? Est-ce qu'il est juif comme nous ? « Non, dit-il avec simplicité, moi je suis un criminel. »

Nous le harcelons de questions, lui rit de temps en temps, répond à certaines et pas à d'autres ; on voit bien qu'il évite certains sujets ; il ne parle pas des femmes : il nous dit seulement qu'elles vont bien, que nous les reverrons bientôt, mais il nous dit ni où ni comment; par contre il nous raconte d'autres choses, des histoires bizarres et extravagantes, peut-être se moque-t-il de nous lui aussi. Ou peut-être qu'il est fou : au Lager, on devient fou. Il dit que tous les dimanches il y a des concerts et des matches de football. Il dit que si on est fort en boxe, on peut devenir cuisinier. Il dit que si on travaille bien, on reçoit des bons-prime et qu'avec ça on peut acheter du tabac et du savon. Il dit que c'est vrai que l'eau n'est pas potable, que par contre on a droit tous les jours à un erzatz de café mais que généralement personne n'en prend, la soupe que l'on nous donne étant suffisamment liquide pour apaiser la soif. Nous le pressons de nous procurer quelque chose à boire, mais il répond qu'il ne peut pas, qu'il est venu nous voir en cachette, que c'est interdit par les SS parce que nous ne sommes pas encore désinfectés, et qu'il doit repartir tout de suite. S'il est venu, c'est parce que les Italiens lui sont sympathiques, et aussi – ajoute-t-il – parce « qu'il a un peu de coeur ». Nous lui demandons encore s'il y a d'autres Italiens au camp ; il répond qu'il en a quelques uns, pas beaucoup, il ne sait pas exactement, et il détourne aussitôt la conversation. A ce moment là une cloche retentit, et il nous quitte brusquement, nous laissant effarés et interdits; si certains se sentent réconfortés, pas moi ; je continue de penser en moi même que ce dentiste, cet individu incompréhensible, a voulu lui aussi nous jouer un mauvais tour, et je me refuse à croire un mot de ce qu'il nous a dit.

Au signal de la cloche, on a entendu la rumeur du camp qui s'éveille dans l'obscurité. D'un seul coup, l'eau jaillit des conduites, bouillante : cinq minutes de béatitude. Mais aussitôt après quatre hommes (les barbiers de tout à l'heure, peut-être) font irruption, et tout trempés et fumant, nous poussent à grand renfort de coups et de hurlements dans la pièce glacée qui se trouve à côté ; là, d'autres individus vociférants nous jettent à la volée des nippes indéfinissables et nous flanquent entre les mains une paire de godillots à semelle de bois ; en moins de temps qu'il n'en faut pour comprendre, nous nous retrouvons dehors dans la neige bleue et glacée de l'aube, trousseau en main, obligés de courir nus et déchaussés jusqu'à une autre baraque, à cent mètres de là. Et là enfin, on nous permet de nous habiller.

Cette opération terminée, chacun est resté dans son coin, sans oser lever les yeux sur les autres. Il n'y a pas de miroir, mais notre image est devant nous, reflétée par cent visages livides, cent pantins misérables et sordides. Nous voici transformés en ces fantômes entrevus hier au soir.

Alors pour la première fois, nous nous apercevons que notre langue manque de mots pour exprimer cette insulte : la démolition d'un homme. En cet instant, dans une intuition presque prophétique, la réalité nous apparaît : nous avons touché le fond. Il est impossible d'aller plus bas : il n'existe pas, il n'est pas possible de concevoir condition humaine plus misérable que la nôtre. Plus rien ne nous appartient : ils nous ont pris nos vêtements, nos chaussures, et même nos cheveux ; si nous parlons, ils ne nous écouteront pas, et même s'ils nous écoutaient, ils ne nous comprendraient pas. Ils nous enlèveront jusqu'à notre nom : et si nous voulons les conserver, nous devrons trouver en nous la force nécessaire pour que derrière ce nom quelque chose de nous, de ce que nous étions subsiste.

Nous savons, en disant cela, que nous seront difficilement compris, et il est bon qu'il en soit ainsi. Mais que chacun considère en soi même toute la valeur, toute la signification qui s'attache à la plus anodine de nos habitudes quotidiennes, au mille petites choses qui nous appartiennent et que même le plus humble mandiant possède : un mouchoir, une vieille lettre, la photographie d'un être cher. Ces choses là font partie de nous presque autant que les membres de notre corps. Et il n'est pas concevable en ce monde d'en être privé, qu'aussitôt nous ne trouvions à les remplacer par d'autres objets, d'autre parties de nous même qui veillent sur nos souvenirs et les font revivre.

Qu'on imagine maintenant un homme privé non seulement des êtres qu'il aime, mais de sa maison, de ses habitudes, de ses vêtements, de tout enfin, littéralement de tout ce qu'il possède : ce sera un homme vide de toute dignité - car il n'est pas rare, quand on a tout perdu de se perdre soi-même ; ce sera un homme dont on pourra décider de la vie ou de la mort le coeur léger, sans aucune considération d'ordre humain, si ce n'est tout au plus, le critère d'utilité. On comprendra alors le double sens du terme « camp d'extermination » et ce que nous entrendrons par l'expression « toucher le fond ».

Primo Lévi - SI C'EST UN HOMME (extrait)

mercredi 22 septembre 2010

KORNWOLF



Même si, après coup, les clients du Dogboy s'opposeraient sur les détails, tous horrifiants, ils seraient bien obligés de tomber d'accord sur plusieurs points. Et notamment sur celui ci : l'individu qui était entré dans la taverne ce soir là avait les cheveux implantés au niveau des sourcils. Pas un centimètre carré de la peau de son front n'était visible. Sa chevelure lui couvrait presque tout le crâne. On aurait un vieux postiche malpropre cloué à son arête nasale, déclara un consommateur. Ou, dit plus éloquemment : « ses yeux s'arrêtaient là où commençait sa banane . » Il ressemblait à un Nixon à tête de marteau.

Autre caractéristique qui faisait l'hunanimité : son odeur. Personne ne contestait le fait qu'il puait la colique, additionné d'une pointe de solvant ménager. Sans compter que son hygiène laissait visiblement à désirer. Des coupures suppurantes lui balafraient le cou. Son costume, une vieille veste miteuse et un pantalon de treillis déchiré aux coutures était couvert de boue...

D'autres caractéristiques – son verbiage enigmatique, son aura ténébreuse, d'outre tombe, ses narines retournées et ses mains noueuses, couvertes de poils raides et durs - donneraient lieu à de véhéments désacords, dûment consignés par l'agent Kieffer de Lamepeter. Les dépositions décrivant ses « yeux luisants » et sa bouche écumante seraient qualifiées de « conjectures d'ivrognes ». A partir d'un certain point, la mémoire collective flanchait en ce qui concernant son apparence. Par contre, tous étaient d'accord sur les faits et gestes de l'inconnu, qui se déroulèrent comme suit :

Vers dix heures du soir, l'individu en question – diversement désigné sous le nom de « ça », « la bête merdeuse », « le clébard du maïs » ou encore «  la revanche des teutons » - fit son entrée dans la taverne. S'y trouvaient alors quinze personnes, dont la barmaid, Freida Baylor. Au comptoir, un groupe regardait un combat de boxe à la télé, suspendue au dessus du bar. Selon Miss Baylor, à peine assis, « l'intrus », comme elle l'appelait, se mit à crier, réclameant apparemment à manger, mais dans une autre langue – du « dutch » (c'est à dire probablement de l'allemand) si l'on se fiait au nasillement. Il martelait le comptoir avec un distributeur de serviettes en papier. Ses manières étaient violentes, grossières, agressives. Baylor, effrayée, lui tendit un menu... Il sortit une liasse de billets qu'il poussa vers elle à travers le comptoir, et allongeant le bras, s'empara d'une bouteille de bourbon pas encore entamée. Les clients qui se trouvaient sur sa gauche ouvrirent de grands yeux. Il leur jeta un regard mauvais et les rembarra avec brusquerie, toujours en « dutch ».

Tous se détournèrent, gênés.

L'intrus fit signe à Baylor, frappant le menu d'un de ses doigts crochus. Il semblait vouloir commander un steak avec des pommes de terre. Elle prit note sur son calepin, tout en restant à distance respectueuse.

Il s'attaqua ensuite à la bouteille, dont il tira force gorgées baveuses et dégoûtantes. Il en vida plus de la moitié d'un coup. Lorsqu'il refit surface, grimaçant, son teint blafard avait tourné au blême. Les yeux fermés, il semblait ravaler le vomit qui montait. Après quoi il rota, tout sourire.

Un instant plus tard, il sortit d'un coup de son extase éthylique et se mit à gigoter, agacé. Il ne tenait pas en place. Il appelait la serveuse en braillant. Où était son repas ?

« Ca vient », l'assura Miss Baylor, mal à l'aise.

Tout en regardant autour de lui, il continua à remuer sur son tabouret, haletant, il avait l'air d'un « fou furieux »

Derrière le comptoir, Miss Baylor fit le point. Si elle l'avait jugé utile, elle aurait appelé la police municipale. Mais en l'occurence ce « trou du cul » était déjà venu plusieurs fois au Dogboy, menaçant chaque fois la tranquilité de tous d'une façon qui frisait l'illégalité, et pourtant les appels au shérif étaient restés lettre morte. Personne n'était venu pendant des heures.

De toutes façons, les flics eux mêmes, étaient une « plaie ». En plus ils ne laissaient jamais de pourboire.

Elle n'avait aucune envie de les appeler à présent, sous les yeux de ce dément qui baragouinait. Pas plus qu'elle n'avait l'intention de l'éjecter toute seule, sans aucune aide. Et certainement pas sans une arme à feu... Elle n'avait pas le choix : il fallait attendre que son petit ami, membre des Barbares, la bande de motards « redoutées », rapplique avec sa meute, comme ils le faisaient tous les soirs à dix heures et quart.

« Jouvencelle ! » L'intrus frappa violemment le bar avec sa bouteille de Marker's Mark vide à présent. Il l'avait descendue en moins de cinq minutes. « Une autre ! » il se raidit dressé sur son tabouret. « Une autre bouteille ! » Il hurlait à présent.

Découvrant soudain ses canines, les muqueuses irritées et clignant des yeux, il éternua. Un nuage de morve retomba en gouttelettes sur le comptoir. Enervé, il cligna des yeux et cette fois son corps partit vers l'avant lorsqu'il éternua de nouveau, son crâne heurta le bar. Braillant de douleur, il mit une main sur son front. Il avait failli tomber par terre.

Reprenant ses esprits, il s'empara d'une corbeille de bretzels dans laquelle il enfonça le visage, mastiquant à grand bruit. Les miettes étaient partout – sur le devant de sa veste, sur la largeur du comptoir. Puis il jeta la corbeille par dessus son épaule et expectora une boule de mucus qui atterrit par terre.

C'est alors qu'il remarqua la tété – le match de boxe qui déclancha chez lui une crise d'hilarité.

Pendant ce temps, Freida Baylor se trouvait à l'autre bout du bar, le dos tourné – elle préparait une deuxième bouteille de bourbon en l'additionnant de Valium fortement dosé, prescrit par son propre médecin. Discrètement, elle écrasait les comprimés avec un verre de bière puis introduisait la poudre dans la bouteille. Un client assis à proximité, et qui avait repéré son manège, s'abstint de tout commentaire. Il préféra regarder ailleurs.

A ce stade tous les consommateurs étaient dans le meilleur des cas inquiets – en vérité, ils avaient bien trop peur pour oser prendre la porte.

Baylor servit le bourbon médicamenté.

Cinq minutes plus tard le steak aux pommes de terre qu'avait commandé l'intrus arriva en salle. Celui ci qui en était à sa deuxième bouteille ne donnait aucun signe d'affaiblissement.

Selon Baylor, il dévora son repas comme « un foutu cochon » puis en commanda un second, cette fois avec « le double de mouton et de bière ».

Personne n'avait encore quitté la taverne.

A dix heures et quart, un couple fit son entrée, tous deux passablement éméchés. Gibbons, un habitué du Dogboy, se montra des plus bruyant à son arrivée. A ce qu'il semblait, lui et Miss Dollup, connue dans le coin pour ses moeurs légères, se disputaient, pour une cause non précisée.
Après s'être assis au bar, ils continuairent à se chamailler un certain temps, sans lever les yeux, mais ils finirent tout de même par remarquer le silence étrange qui les entourait, ce qui eut raison de leur dispute. En fait Dollup, agacée de n'avoir pas encore été servie, fut la première à s'en rendre compte. Tandis que Gibbons continuait à exposer ses griefs, elle balaya le bar du regard sans rien dire, notant dans un premier temps l'absence de conversation avant de repérer l'inconnu aux yeux de dément, qui de l'autre côté du comptoir la dévisageait... avec un sourire d'ivrogne, elle donna un coup de coude à Gibbons tout en pointant le doigt. Agacé d'être interrompu, celui ci, ivre comme une soupe, avait levé les yeux. Il avait le regard vitreux, injecté de sang, les paupières à moitié baissées.

Au moment où il aperçut l'inconnu, toute couleur disparut de sa face, selon les témoins.

Freida Baylor, reconnaîtrait qu'elle ne portait ni Dollup, ni Gibbons dans son coeur, et ce depuis plusieurs années, affirmerait que la première avait aggravé la situation en « faisant de l'oeil » à l'inconnu.

D'autres clients confirmèrent dans une certaine mesure ses dires, tous en précisant que Miss Dollup ne pouvait nullement deviner, ni même soupçonner dans quoi elle s'engageait. Lorsqu'elle se mit à jeter «  des coups d'oeil suggestifs », pour citer l'un des consommateurs, à travers le comptoir, elle paraissait plutôt désireuse de donner une leçon à Gibbons qu'en quête d'un témoignage d'affection.

Quoi qu'il en soit, les habitués firent de grands signes pour tâcher de la dissuader, mais sans résultat. Baylor la mit en garde d'un geste insistant. Miss Dollup continua de plus belle.

Vacillant, elle retourna à l'inconnu une oeillade. Sa vision embrumée finit par se préciser. Elle plongea les yeux dans les siens avec intensité. Son sourire minaudier commença à se dissiper, remplacé par un air vaguement mal à l'aise.

Gibbons commençait à s'énerver. Les habitués se préparaient au pire car l'inconnu , visiblement enflammé par le désir et l'alcool, ne tenait plus en place.

Faisant signe à Baylor, il l'interrogea avec rudesse : « Qui est cette ribaude ? »

Baylor haussa les épaules.

L'intrus s'exprima toujours en « dutch ». On aurait dit la bande-son d'un film d'épouvante. Il lui fit signe de servir un verre à Miss Dollup.

Baylor, exaspérée, mit un certain temps à s'exécuter.

L'inconnu poussa alors quelques billets dans sa direction tout en frappant un grand coup sur le comptoir : « Fais c'que j'te dis ! »

Elle sursauta, reculant d'un pas. Derrière elle, Miss Dollup, qui semblait sortir d'un rêve, éclata de rire : « Sers-moi un whisky. »

Gibbons intervint : « Ne lui sers pas de whisky. »

L'inconnu répliqua d'un ton brusque : « Silence, vermine ! » Il se tourna vers Baylor : « Tu as entendu la dame ? »

Un silence digne d'une prise d'otages s'installa dans la salle. Miss Baylor fronça les sourcils : « Tu vas le regretter Valérie. »

Dollup répliqua en ricanant : « Apporte moi un whisky Freida. »

Hors d'elle, Baylor se mit à préparer un whisky à l'eau tout en secouant la tête.

L'inconnu rejeta la tête et fit entendre un rire « terrifiant ».

Puis en un éclair, il se leva et, emportant sa bouteille, fit le tour du comptoir pour se diriger vers Valérie Dollup.

Une vague de panique traversa la salle.

D'un seul geste, l'inconnu s'empara de Gibbons par la peau du cou et l'arracha à son tabouret. Gibbons heurta le mur et tomba par terre en glapissant. Tous avaient le souffle coupé, mais personne ne fit la moindre tentative pour s'interposer. L'inconnu se laissa glisser sur le tabouret à côté de Dollup, avec un sourire obscène : « Salutations Fräulein. »

Tandis que Gibbons se remettait tant bien que mal sur ses pieds, la porte s'ouvrit et le premier des Barbares apparut – enfin : ils avaient une demi-heure de retard. Taylor Blake, le petit ami de Miss Baylor, arriva, lui, à l'instant précis où Gibbons, qu'il ne « pouvait pas encadrer », décrochait une queue de billard suspendue au mur et l'abattait sur le crâne de l'inconnu.

Les Barbares auraient pu être tentés d'intervenir – traduction : de réduire Gibbons en purée – si l'inconnu n'avait lui même pris les choses en main. Indemne en apparence, il tournoya en direction de Gibbons et, d'un revers de la main , l'envoya voltiger par terre. S 'emparant de la queue de billard cassée, il se mit à le battre à bras raccourcis. Gibbons, qui poussait un cri aigu à chaque coup, essaya de ramper jusqu'à la porte. Ignorant les appels au secours de Miss Baylor, les barbares se contentaient de s'esclaffer. Pris par surprise, ils s'écartèrent pour laisser passer « le ver de terre », comme ils avaient toujours appelé Gibbons, qui se fit « brutalement cravacher » jusqu'à la porte. Riant toujours, ils prirent la peine de claquer celle ci derrière lui.

C'était une surprise aussi agréable qu'inattendue – la soirée s'annoncait bien.

Malgré les récriminations de Freida Baylor, qui se plaignait que l'inconnu ait causé des ennuis toute la soirée, et en dépis de l'air «  carrément bizarre » de celui-ci et du fait qu'il « puait la merde », les barbares avaient apprécié le spectacle.

« Qu'est ce que tu bois », demanda Taylor ?

Une fois de plus, l'inconnu répondit en « dutch ». Personne n'y compris un traître mot, mais son attitude générale n'avait rien de respectueux. Leurs biscotos couverts de cuirs ne semblaient pas l'impressionner. Visiblement, il n'avait peur de rien : « Un dur de dur ».

Montrant les dents, il traversa la taverne d'un bond et fondit sur Miss Dollup, désormais circonspecte. Après avoir descendu une nouvelle rasade de bourbon, il laissa échapper un rire perçant et, la prenant par le bras il l'entraîna tout le long du comptoir jusqu'aux toilettes des dames ...

Pendant les minutes qui suivirent, on entendit plus qu'un délire de coups violents et de hurlements qui retentissaient derrière la porte. Tout ce temps Freida Baylor ne cessa de maudire, non seulement son copain, Taylor, mais aussi le reste de la meute qui restait là sans lever le petit doigt. Ils l'envoyèrent paître, affirmant que Dollup n'avait que ce qu'elle avait cherché et mérité - sans compter qu'elle s'en payait un tranche.

Ce qui selon les témoins, était peut être exact, ou pas, à en juger par les cris qui pouvaient passer pour du « plaisir ».

De toutes façons, Miss Baylor en avait par dessus la tête. Elle éreinta les comparses de son boy friend, les traitant de lâches. Lorsque l'un d'entre eux se mit à préparer un rail de méthamphétamine sur le comptoir, sous son nez (ce que tous les Barbares nieraient par la suite), elle baissa les bras et appela la police. Les Barbares la huèrent en la traîtant de « casseuse d'ambiance ».

En fait, la police avait déjà été rameutée – d'abord par Dwayne Gibbons, couvert de plaies et de bosses, puis par les deux premiers clients qui, lorsque la voie était devenue libre, en avait profité pour s'enfuir. Ils avaient appelé à tour de rôle du taxiphone situé dehors dans le parking. Les agent Kreider et Beaumont, lequel venait de reprendre ses fonctions, étaient en route.

Dans la teverne cependant, les coups et les gémissements en provenance des toilettes atteignaient leur acmé. Puis ce fut le silence, interrompu par le vacarme qui accompagnait un K-O à la télé.

Bientôt la porte s'ouvrit d'un coup. L'inconnu réapparut – débraillé, datraqué et « puant plus que jamais ».

Qui plus est, son teint semblait s'être « assombri ». Son dos s'était voûté, ses yeux étaient devenus « écarlates ».

Il ne réagit pas lorsque les Barbares l'invitèrent à sniffer « sa part » au comptoir. Il semblait ne pas comprendre ni leur discours ni leurs intentions.

Pour finir, selon l'un des témoignages, quelqu'un (Taylor Blake) sortit en guise de démonstration un billet de un dollard enroulé.

« C'est pas du meilleur, aurait-il indiqué, mais c'est bien suffisant pour un week end à Blue Ball. »

L'attention désormais en éveil, l'inconnu accepta le billet qui lui était tendu et suivit l'exemple de Blake, sniffant non seulment la ligne de « cristal » qui lui était destinée, mais aussi trois autres qui ne l'étaient pas. Le visage écrasé sur le comptoir, il aspirait et bavait avec un complet abandon.

Ce dont les Barbares ne parurent pas lui tenir rigueur, malgré la pagaille qu'il avait mise.

Lorsqu'il se releva, la face couverte de poudre, il clignait des yeux, secoué de spasmes qui lui coupaient le souffle.

Les Barbares se mirent à rire tandis que plusieurs habitués, écoeurés, se dépêchaient de gagner la sortie...

C'est alors que Miss Dollup émergea des toilettes. Tous se tournèrent vers elle - debout dans le cadre de la porte, dévastée, abattue, les vêtements en lambeaux. L'inconnu ne la gratifia même pas d'un regard – bravant et sniffant de plus belle, la face contre le comptoir – tandis que Miss Baylor, furieuse, criait : « Donnez-lui une veste ! » L'inconnu se raidit brusquement, il s'étranglait. Puis il agrippa le comptoir et tendit le cou tandis qu'un haut-le-coeur le secouait, suivi d'un clac oesophagien. Une plainte s'éleva des profondeurs de son diafragme.

Quelle qu'en fût la cause : une surcharge cardiaque, la cuisine notoirement grasse de la taverne, le litre et demi de whisky qu'il venait d'ingurgiter en une heure, les trois comprimés de Valium ingérés à son insu – ou évidemment, le décontractant musculaire qui avait servi à étendre la double dose de speed -, une explosion de flatulences déchira l'air, suivi de l'âcre puanteur des fèces.

Gémissante, Miss Baylor implora le sauveur. Les Barbares reculèrent, soudain inquiets. Seul le regard d'outre tombe de Valérie Dollup resta inchangé d'un bout à l'autre.

L'inconnu/l'intrus, dont l'apparence était devenue « subhumaine » - comme le dirait un client, en une heure de temps, il s'était métamorphosé : « il est entré sous forme humaine, et reparti sous forme animale » -, s'arracha alors du comptoir, remonta l'allée centrale à toutes jambes, dépassa le juke-boxe au grand galop, survola le paillasson imprimé et, passant la porte d'un bond, disparut dans la nuit.





... des cris de surprise à l'arrière, qui diminuent. Air libre. Vent du nord, à travers les champs d'aster, de sumac et d'azote – claquement de l'asphalte sous les pieds – détritus sur le route qu'il faut enjamber, descendre dans un fossé – obstrué d'huile, d'eau usée, d'eau de pluie... gravir le talus dentelé de calcaire et de quartz, vers les lignes électriques qui bourdonnent là haut – lumière aveuglante, d'autres voix à l'arrière, d'autres pneus sur l'asphalte, qui s'approchent - appels pressants au conduteur – monter toujours, enjamber le talus, puis dégringoler, dévaler jusqu'en bas - un plateau d'asters, d'herbe du diable, du vieux fil de fer barbelé rouillé sur les appendices qui perforent la chair – s'en libérer - la chamade au dedans tout en avançant toujours... à travers les chardons, la centaurée et l'apocyn, jusqu'à l'aorte/ventricule, le marteau et l'enclume. Déferlement. Soif et palpitations. Trop plein, avancer – jusqu'aux cieux là haut qui béent dans l'obscurité : des trains au loin, du trafic motorisé stoppé à un carrefour... Une odeur de brûlé sous le vent, de fumées d'échappement et de cellophane – oxyde de carbonne, fibre de verre, vinyle - qui flotte au dessus des champs de carottes sauvages en fleur, des bouquets de chênes et de noyers blancs d'Amérique – chardons qui déchirent la parure déchiquetée, lambeaux qui pendent aux ronces à l'arrière – jusqu'à ce que tout à fait dévêtu et courant à l'instar d'une fulgurante mise au monde, seul, à la naissance : nu, couvert de sang, vagissant et présent sans limite, même s'il est assoiffé, terriblement assoiffé – à quatre pattes au bord d'un ruisseau – reflet de la lune qui ondoie, une fournaise à combustion rationnalisée qui engloutit, consume nourrit, croît progressivement jusqu'à son terme... debout à nouveau. Ténèbres. Interruption du mouvement – des ronces encore, du laiton épineux, qui creuse et arrache - une trouée dans l'enchevêtrement, un poteau de clôture qui s'effrite – enjamber – une clairière ou l'herbe est plus tendre - trèfle et verge d'or, suaves même à présent dans le craquement sec de l'automne, apaisant les coups de baguette de coudrier – atteindre enfin un bouquet de chênes blancs et de pacaniers – l'herbe aux perruches explose sous les pas – solde forêt granuleux, couvert de noix vertes, amères, de pommes de pin, de kutzu - une voûte en surplomb, couronnes de chênes blancs et d'érables, légèrement assombries par les couches de cornouillés et de sassafras - qui ouvre sur le firmament... Affleurements de granite tacheté de lichen rouge, verdâtre et de mousse – glissante sous la pente – déraper, dévaler, culbuter jusqu'à – BANG – vestiges putréfiés d'une souche de châtaignier – reprendre connaissance dans l'éclaboussement d'un corridor obscur - se lever, poursuivre vers le nord..
Ténèbres ...
Bondir au clair de lune à travers les champs de courges, et de citrouilles, piétiner le fumier – asphalte à nouveau, passer au dessous : klaxons, crissement, embardées et SLAM – en plein dans un poteau – cour toujours, le tonnerre aux trousses - douleur dans le côté, élancement, insupportable – avancer, toujours avancer et fuir...
Arôme de paille et d'enfermement : étables et enclos, odeur fumante, fétide du fumier – corps lourds, contractés par la peur, mûrs pour la lacération de la chair et du cramoisi... tonnerre et grondements - et des voix à présent, furieuses – braillant par à-coups – bondir à nouveau...
Ténèbres encore...
...longues herbes au dessus d'une parcelle pleine de logements modernes en cours de construction. Un moteur traverse le ciel. Des automobiles dans la clairière en contrebas. Des hommes dedans. Patrouillant sur la propriété. Terre profanée. De nouveau en mouvement...
Fracas et cliquetis des poutres qui s'effondrent. Porte arrachée de ses gonds, restée debout.
Projecteurs, hurlements, nouvelles rafales de tonnerre, grondement... grains de plomb qui sifflent aux oreilles, manquent leur cible...
... entrer dans un champs d'orties et de lière. Avancer à travers un fouilli de halliers jusqu'à une clairière couverte de solanacées, de millepertuis, de moutarde sauvage... au delà, rangée obscure d'arbres à feuilles persistantes : cyprès, mélèzes, épicéas – tapis d'aiguille et de pommes de pin sous les talons, arôme sucré de la sève de pin séchée...
Vrombissement de moteur qui s'amplifie à l'avant...
Leur échapper sans mal, remonter une route peu fréquentée jusqu'à un champs d'âcre azote... avancer sous le vent par rapport à la maison du méchant homme, s'en approcher, évidence de son absence - en raison de l'esprit, de la pureté – maison vide : arracher les gouttières, fracasser les fenêtres, démolir le manche de la pompe, renverser la roue à eau – vaporiser la véranda d'un bout à l'autre, puis repartir, avancer encore...
Ténèbres...
... lampourde, verge d'or, herbe aux perruches – poursuivre vers le nord par dessus l'eau, à travers les fossés, dans le granite – obscurité toujours, mort de soif, et au delà : vers la forteresse de douleur du méchant homme – le lieu de captivité, l'antre du massacre...


Tristan Egolf KORNWOLF (extrait)

samedi 11 septembre 2010

LUTETIA


Quand tous les allemands furent partis, il ne resta plus qu'une paire d'exilés d'une autre nature. Deux réchappés des Balkans, chez qui la bohême n'est jamais loin de la Moravie. Leur nationalité exacte importait peu, ils en venaient, ils en étaient. De toutes façons, entre le bar et le salon, à partir d'une certaine heure, il n'y avait plus guère que les garçons pour s'exprimer encore en français.

Pour avoir déjà écouté le plus corpulent des deux parler d' « oseille » au téléphone, la chaleur l'ayant imprudemment poussé à entrebailler la porte de la cabine, j'étais fixé sur ses intentions. Manifestement, il ne s'était pas rendu à Paris pour assister à une réunion de famille, ou alors au sens large. Ces deux là menaient de toute évidence des existences à double issue. Ils valaient d'être surveillés, du moins dans les limites de mes prérogatives.

L'un assez enveloppé, dissimulait en permanence son visage derrière sa main ; mais il appuyait son front si maladroitement sur les doigts, même quand il parlait et qu'il levait le coude pour suivre les mouvements de sa tête, que cela en, devenait comique ; il transpirait tout le temps et s'épongeait le front avec un mouchoir blanc qu'il conservait plié dans la paume, à la manière de ces fumeurs si attachés à leur vice qu'ils conservent leur paquet dans la main qui tient la cigarette. L'autre au masque si douloureux, semblait être tout le temps entre deux accès d'hypercontrie ; il ne tenait pas en place et l'on pouvait déduire sans risque son émaciation d'une pratique permanente des cent pas. Si maigre qu'il semblait vivre en compagnie de son cadavre. Il s'en voulait. Peut être n'y en avait-il pas de quoi, tant c'était ancré dans sa nature profonde. On est tous en guerre contre soi-même, mais celui là ne négociait jamais de cessez-le-feu.

La teinte de leurs pardessus témoignait d'une ancienne familiarité avec le vagabondage européen. Leur complet en mauvais drap évoquait les cours grouillantes et les cages d'escalier aux odeurs rances. Des feuilles nationalistes les auraient certainement qualifiés de métèques. Pas moi, même si je n'en pensais pas moins. « Métèques », « vermines », « parasites » et d'autres encore, ce lexique de la haine me dégoûtait au point de me les rendre sympahiques, voire pathétiques, c'est dire. A quoi reconnaît-on un émigré d'Europe centrale dans un hôtel ? C'est celui qui entre par la porte à tambour derrière vous et en ressort devant vous ! Voilà ce que nous nous amusions à raconter, mais ce n'était pas bien méchant, et même un rien admiratif.

Si je ne les avais pas déjà interrogés à la PJ au cours de ma première vie, je les avais certainement croisés dans Pietr-le-Letton ou tout autre roman de la veine cosmopolite de Simenon. Et si ce n'étaient pas eux, c'était donc leurs frères ou leurs cousins. De ces faussaires aux identités à géométrie variable, qui ignorent les frontières et voyagent avec autant de naturel sur le marchepied des wagons de marchandise que dans les couchettes de luxe des trains de nuit. Un étranger n'est jamais tout à fait en règle. Pourtant, instruit par l'affaire Stavisky, je savais d'expérience que ces trafiquants là, trahis d'emblé par leur dégaine approximative, une certaine maladresse en toutes choses, cette détestable habitude de s'excuser tout le temps, pour ne rien dire de leurs inflexions – un émigré est quelqu'un qui a tout perdu, sauf son accent - , n'étaient au fond pas les plus dangereux. Ils l'étaient moins que tous ces gentlemen emparticulés, aux ongles entretenus par une manucure, qui obtenaient la confiance des banquiers sur leur apparence, leur nom et la réputation qui en découlait ; sur leur surface, en somme. Pourtant combien de fondsecrétiers dans ce milieu ! A la messe, ils devaient recevoir l'hostie comme un jeton de présence. Eux non plus ne dédaignaient pas les enveloppes, mais ils les acceptaient avec une certaine classe. Car avec le standard de vie qui est le leur, on ne touche pas, on émarge.

Pierre Assouline LUTETIA (extrait)

lundi 2 août 2010

En crachant du haut des buildings



Lorsque je lui rendis la bouteille, Flash poussa un profond soupir.

- Tu vois ...

Il baissa les yeux par terre pour mieux se concentrer, puis repris :

- Tu vois... je sais bien que ça caille, dehors. Moi aussi y'a des jours, là haut, j'en ai marre de ce froid de merde. Y'a des jours où je le supporte plus tu vois ? Y'a des jours, je supporte plus le président de merde de ces Etats Unis de merde. Y'a des jours j'aurais envie de garer un camion avec une bombe et un détonnateur devant les ambassades de toutes les minorités de bronzés de cette ville, tous ces enculés de Nègres et d'enturbannés du, Moyen Orient qui nous extorquent à longeuur de temps leur chèque d'allocations de merde, tu vois ... Et y'a des jours, presque tous les jours, je hais ce gros enculé de Johnny Murphy. Presque tous les jours, oui. Je pourrais facilement le tuer, lui écraser le cul comme à une grosse mouche, pour lui faire avaler tout le mépris de merde qui sort de son trou du cul de bouche de merde ! Tu vois ?... Je le déteste pour de bon cet enculé ! Mais comme je viens de le dire, y'a des jours avec et des jours sans ...
Il réfléchit un instant, s'enfila une autre rasade de Mad Dog, puis décida de continuer.

- Tu vois Dante, moi je me retrouve ici, tu vois, à bosser comme un con tout en haut des buildings et à me les geler tous les jours de merde que Dieu fait. Mais il y a quelques mois, un vendredi, tu vois, je suis passé à son bureau de merde pour prendre mon putain de chèque. Et alors devine ce que j'ai découvert ? Tu devines pas ? Ben je vais te le dire, je me suis aperçu que cet enculé de Murphy, et l'autre type, son patron, celui que j'appelle l'enculé numéro deux, eh ben, ces deux enfoirés se sont mis d'accord pour me ratiboiser mes heures grâce à un artifice juridique de merde qui leur sert d'alibi. Tu vois Dante, l'enculé numéro deux, l'autre putain d'enculé qui emploie ce gros enculé de Murphy, il n'est plus obligé de payer à ses employés leur temps de transport, parce que ces deux enfoirés ont tout d'un coup décidé de nous donner le statut de travailleur indépendants, tu vois ... Alors maintenant, du coup, tout le monde perd quatre heures. Quatre heures par semaine, tu vois ! Seize heures par mois !

Il me tendit la bouteille et je bus à mon tour une longue rasade.
Flash continua sur sa lancée. Rien n'aurait pu l'arrêter.

- Mais attends, renchérit-il, j'ai gardé le meilleur pour la fin ! Ca ne les empêche pas de nous faire quand même le coup des retenues, tu vois ? Sympa, non ? Ils ont simplement changé le nom de ce qu'ils appelaient avant les « défalcation ». Alors maintenant, tu vois, comme on a le statut de travailleurs indépendants, ils déduisent de notre paye le matériel et toute leur merde, alors qu'avant ils étaient obligés de nous les fournir gratos pour qu'on puisse bosser. Maintenant, on se fait baiser deux fois au lieu d'une ! Putain, tu vois, c'est des vrais artistes ces mecs ! Je veux dire, c'est des vrais pros d'enculés du coup en douce ! Même le matériel, maintenant, même les chiffons ! T'imagines, ces enculés nous font même payer les chiffons ! C'est écrit noir sur blanc sur ma feuille de paye, dans la colonne « retenues », « chiffons, trois dollars » ! Je te baratine pas, tu vois, « chiffons ». C'est dingue, non ? Les enculés ! C'est des vrais tueurs ces irlandais ! Ce putain de gros enculé de Murphy et le proprio cet enfoiré de Benjamin Moriarty, Monsieur Red Ball en persoone, alias Benny Moriarty. Je les hais, ces mecs ! C'est tous les deux des enculés, tu vois ? Non mais, tu vois ce que je veux dire ?

- Je vois, ouais.

Flash but encore une demi douzaine de gorgées, puis il me repassa la bouteille.

- Mais maintenant, repris Flash, comme j'ai ouvert ma gueule pour me plaindre de leurs petites magouilles de merde sur notre dos, Murphy a trouvé un nouveau truc – cette ordure de putain d'enculé de sa race ! Son nouveau truc, c'est me coller tous les nouveaux qui signent chez lui. Ne le prends pas pour toi Dante. Mais tu vois, c'est comme pour me punir parce que je ne me suis pas laissé faire, Ce gros con m'a mis sur la liste noire. Tu vois ?

Je voyais parfaitement.

- Bois encore un coup, Dante.

Je bus de nouveau quelques bonnes gorgées. Je les sentais descendre dans mon estomac.

- Tous les jours, reprit-il, je fais une pause, à peu près à cette heure là, tu vois. Je prends une demi heure. Je me gêne pas, Parfois même une heure entière ! Qu'ils aillent se faire foutre, tu vois ? Ils ne me payent plus mes pause, alors qu'ils aillent se faire mettre ! Tu vois ?

- Ouais. T'as raison. Qu'ils aillent se faire foutre.

Nous fumions cigarettes sur cigarettes, en nous repassant la bouteille, jusqu'à ce qu'elle soit complètement vide. Flash parlait sans discontinuer. Le reste du temps, il devait lui falloir au moins une semaine pour aligner autant de mots, peut être même deux. Je me contentais de boire et d'écouter.

- Alors ? Demanda-t-il lorsque la bouteille fut vide.

- Alors... commençai-je.

- T'es d'accord ?

- Ouais, d'accord.

- Tu largues ce boulot ou tu continues à bosser avec moi ?

Je réfléchis quelques intants. Le Mad Dog m'avais remis les idées en place.

- Je reste bosser avec toi.

Dan Fante
En crachant du haut des buildings (extrait)