dimanche 5 février 2012

THE DOG OF WINTER

Une fois de l'autre côté, le garçon mit le cap vers le nord, et ils dépassèrent le promontoire que Fletcher avait escaladé la veille, ce qui lui permit de découvrir la baie et la pointe au loin.

La mer était plus profonde à cet endroit et le Zodiac chevauchait sans peine la houle ; une eau verte et lisse filait sous l'avant du canot, tandis qu'au dessus de leurs têtes le ciel continuait à s'éclaircir grâce au soleil qui se répendant à la surface de l'eau.

Des morceaux de bois dansaient à la lumière, accompagnés de lits de varech, dont certains transportaient divers crustacés ; taches roses ou orange éclatantes arrachées à leur point d'ancrage par la force du courant, et à deux reprises au moins des otaries sortirent leur têtes noires et lisses hors de l'eau pour les regarder passer.

Fletcher repensa alors à ce qu'il avait vu sur le ponton : les cicatrices qui enveloppaient le corps de Hamon comme les coutures d'une balle de base-ball. Il n'avait pas entendu dire que Hamon s'était fait mordre, mais de toute évidence c'était le cas. Et cet endroit semblait idéal pour ça, au coeur même de ce que les surfeurs appelaient le Triangle Rouge. Les poissons venaient à l'embouchure de des rivières pour pondre. Les otaries venaient manger les poissons. Les grands blancs venaient manger les otaries, et comme ils étaient myopes, ils avaient l'habitude de croquer un surfeur de temps en temps, même si, généralement, ils les recrachaient quand ils s'apercevaient de leur erreur ; c'est pourquoi il en restait quelques-uns comme Drew Hamon pour raconter cette histoire.

De telles pensées n'ameneraient rien de bon, évidemment, c'est pourquoi Fletcher, choisit de préparer son matériel au mieux pour les chasser de son esprit. Il tripota son posemètre et jaugea l'angle du soleil. Il y avait quelques bosses à l'horizon, mais pas encore de série visible. Il entendit le garçon dire quelque chose dans son dos, et il se retourna pour le voir désigner le rivage. Il suivit du regard le doigt du garçon. Il découvrit alors trois silhouettes sombres sur des planches qui se dirigaient vers eux en partant de la pointe, et alors qu'il suivait leur ligne d'attaque il vit la première série qui commençait à se former sur les reefs.

Kem Nunn – THE DOG OF WINTER Le sabot du diable (extrait)

DAWN PATROL

Un bref moment, nous avons eu une civilisation qui s'accrochait à une mince bande de terre entre l'océan et le désert.

Notre problème était l'eau, trop d'un côté, pas assez de l'autre, mais cela ne nous a pas arrêté. Nous avons bâti des maisons, des autoroutes, des hôtels, des galeries marchandes, des ensembles d'immeubles, des parcs de stationnement, des parkings, des écoles et des stades.

Nous avons proclamé la liberté de l'individu, acheté et conduit des millions de véhicules pour le prouver, construit de nouvelles routes pour y mener nos voitures de manière à pouvoir parcourir le partout qui était nulle part. Nous avons arrosé nos pelouses, lavé nos voitures, englouti des bouteilles et des bouteilles d'eau sous plastique pour nous tenir hydratés sur une terre déhydratée, nous avons bâti des aquaparcs.

Nous avons construit des temples à nos fantasmes – studios de cinéma, parcs récréatifs, cathédrales de cristal, méga-églises - pour nous y rassembler en masse.

Nous sommes allés sur la plage, nous avons chevauché les vagues et versé nos ordures dans l'eau dont nous disions que nous l'aimions tant.

Nous nous sommes réinventés au quotidien, nous avons refabriqué notre culture, nous nous sommes vérouillés à double tour dans des communautés forteresses, nous avons mangé de la nourriture saine, arrêté de fumer, lifté nos visages tout en évitant le soleil, soumis nos peaux au peeling, fait aspirer notre graisse aussi bien que nos bébés non désirés, nous avons défié l'avancée de l'âge et la mort.

Nous avons fait des déesses de la richesse et de la santé

Une religion du nacissisme.

Au bout du compte, nous n'avons adoré que nous-mêmes.

Au bout du compte, ce n'était pas suffisant.

Don Winslow – DAWN PATROL la patrouille de l'aube (extrait)