lundi 2 août 2010

En crachant du haut des buildings



Lorsque je lui rendis la bouteille, Flash poussa un profond soupir.

- Tu vois ...

Il baissa les yeux par terre pour mieux se concentrer, puis repris :

- Tu vois... je sais bien que ça caille, dehors. Moi aussi y'a des jours, là haut, j'en ai marre de ce froid de merde. Y'a des jours où je le supporte plus tu vois ? Y'a des jours, je supporte plus le président de merde de ces Etats Unis de merde. Y'a des jours j'aurais envie de garer un camion avec une bombe et un détonnateur devant les ambassades de toutes les minorités de bronzés de cette ville, tous ces enculés de Nègres et d'enturbannés du, Moyen Orient qui nous extorquent à longeuur de temps leur chèque d'allocations de merde, tu vois ... Et y'a des jours, presque tous les jours, je hais ce gros enculé de Johnny Murphy. Presque tous les jours, oui. Je pourrais facilement le tuer, lui écraser le cul comme à une grosse mouche, pour lui faire avaler tout le mépris de merde qui sort de son trou du cul de bouche de merde ! Tu vois ?... Je le déteste pour de bon cet enculé ! Mais comme je viens de le dire, y'a des jours avec et des jours sans ...
Il réfléchit un instant, s'enfila une autre rasade de Mad Dog, puis décida de continuer.

- Tu vois Dante, moi je me retrouve ici, tu vois, à bosser comme un con tout en haut des buildings et à me les geler tous les jours de merde que Dieu fait. Mais il y a quelques mois, un vendredi, tu vois, je suis passé à son bureau de merde pour prendre mon putain de chèque. Et alors devine ce que j'ai découvert ? Tu devines pas ? Ben je vais te le dire, je me suis aperçu que cet enculé de Murphy, et l'autre type, son patron, celui que j'appelle l'enculé numéro deux, eh ben, ces deux enfoirés se sont mis d'accord pour me ratiboiser mes heures grâce à un artifice juridique de merde qui leur sert d'alibi. Tu vois Dante, l'enculé numéro deux, l'autre putain d'enculé qui emploie ce gros enculé de Murphy, il n'est plus obligé de payer à ses employés leur temps de transport, parce que ces deux enfoirés ont tout d'un coup décidé de nous donner le statut de travailleur indépendants, tu vois ... Alors maintenant, du coup, tout le monde perd quatre heures. Quatre heures par semaine, tu vois ! Seize heures par mois !

Il me tendit la bouteille et je bus à mon tour une longue rasade.
Flash continua sur sa lancée. Rien n'aurait pu l'arrêter.

- Mais attends, renchérit-il, j'ai gardé le meilleur pour la fin ! Ca ne les empêche pas de nous faire quand même le coup des retenues, tu vois ? Sympa, non ? Ils ont simplement changé le nom de ce qu'ils appelaient avant les « défalcation ». Alors maintenant, tu vois, comme on a le statut de travailleurs indépendants, ils déduisent de notre paye le matériel et toute leur merde, alors qu'avant ils étaient obligés de nous les fournir gratos pour qu'on puisse bosser. Maintenant, on se fait baiser deux fois au lieu d'une ! Putain, tu vois, c'est des vrais artistes ces mecs ! Je veux dire, c'est des vrais pros d'enculés du coup en douce ! Même le matériel, maintenant, même les chiffons ! T'imagines, ces enculés nous font même payer les chiffons ! C'est écrit noir sur blanc sur ma feuille de paye, dans la colonne « retenues », « chiffons, trois dollars » ! Je te baratine pas, tu vois, « chiffons ». C'est dingue, non ? Les enculés ! C'est des vrais tueurs ces irlandais ! Ce putain de gros enculé de Murphy et le proprio cet enfoiré de Benjamin Moriarty, Monsieur Red Ball en persoone, alias Benny Moriarty. Je les hais, ces mecs ! C'est tous les deux des enculés, tu vois ? Non mais, tu vois ce que je veux dire ?

- Je vois, ouais.

Flash but encore une demi douzaine de gorgées, puis il me repassa la bouteille.

- Mais maintenant, repris Flash, comme j'ai ouvert ma gueule pour me plaindre de leurs petites magouilles de merde sur notre dos, Murphy a trouvé un nouveau truc – cette ordure de putain d'enculé de sa race ! Son nouveau truc, c'est me coller tous les nouveaux qui signent chez lui. Ne le prends pas pour toi Dante. Mais tu vois, c'est comme pour me punir parce que je ne me suis pas laissé faire, Ce gros con m'a mis sur la liste noire. Tu vois ?

Je voyais parfaitement.

- Bois encore un coup, Dante.

Je bus de nouveau quelques bonnes gorgées. Je les sentais descendre dans mon estomac.

- Tous les jours, reprit-il, je fais une pause, à peu près à cette heure là, tu vois. Je prends une demi heure. Je me gêne pas, Parfois même une heure entière ! Qu'ils aillent se faire foutre, tu vois ? Ils ne me payent plus mes pause, alors qu'ils aillent se faire mettre ! Tu vois ?

- Ouais. T'as raison. Qu'ils aillent se faire foutre.

Nous fumions cigarettes sur cigarettes, en nous repassant la bouteille, jusqu'à ce qu'elle soit complètement vide. Flash parlait sans discontinuer. Le reste du temps, il devait lui falloir au moins une semaine pour aligner autant de mots, peut être même deux. Je me contentais de boire et d'écouter.

- Alors ? Demanda-t-il lorsque la bouteille fut vide.

- Alors... commençai-je.

- T'es d'accord ?

- Ouais, d'accord.

- Tu largues ce boulot ou tu continues à bosser avec moi ?

Je réfléchis quelques intants. Le Mad Dog m'avais remis les idées en place.

- Je reste bosser avec toi.

Dan Fante
En crachant du haut des buildings (extrait)